C’est une seiche (1) ancrée en une mer
lointaine
Qui perçut les lueurs d’une fête foraine
Dont on parlait beaucoup au loin des hameçons
Pour son fameux manège aux somptueux poissons.
« Quel plaisir pour un soir d’enfourcher
une lotte
Ou tout autre ennemi qui toujours m’asticote. »
Pense-t-elle en lâchant, d’un effort soutenu,
Un jet d’encre attestant un bonheur contenu.
Cette ivresse, pourtant, se transforme en
surprise
Lorsqu’elle arrive enfin devant sa
convoitise ;
« L’étonnant, se dit-elle, avec la
nouveauté,
C’est qu’elle vous amène au manège enchanté
Où ces poissons de bois sont de telle facture
Qu’on pourrait les traiter de plus vrais que
nature. »
Alors, en prenant place au pied du carrousel,
Elle s’évanouit dans un monde irréel
Où s’égare bientôt le sens de l’authentique
Pour laisser triompher celui du féérique.
Sur la lotte de bois sur laquelle elle
s’assied,
Installer
Cela serait parfait si, par manque de pot,
Il n’y avait un os dans ce joli tableau.
Car à trop vouloir croire aux choses
irréelles,
On finit par penser qu’elles sont
naturelles ;
On ne rigole plus lorsqu’on tient pour acquis
Que ces poissons de bois sont tous vos
ennemis.
Un affreux cauchemar remplace alors le rêve,
Bien qu’on n’ait pas voulu que celui-ci
s’achève.
D’ailleurs, peut-on vouloir à l’esprit commander
Lorsqu’on est trop enclin à se faire
enchanter ?
La seiche a donc recours à toutes ses défenses
Tant sa peur est violente et ses craintes intenses ;
Tout y passe à la fois : changement de
couleur,
Pour se fondre au milieu du manège
enchanteur ;
Projection de sépia, ce jet d’encre aveuglante
Qui permet d’éviter une rouste cinglante.
Tout y passe à la fois sur un simple déclic,
Et les rires fusants des poissons du public.
Et puis, d’un coup d’un seul, après cette
ruade
La seiche réalise enfin son incartade :
« Pardonne-moi, dit-elle à son poisson de
bois,
Car en tout autre lieu je crois ce que je
vois.
Mais comment peux-tu donc en cet endroit
magique
Te métamorphoser en poisson
véridique ? »
Si vous donnez au rêve une complicité
Ne perdez pas le sens de la réalité.
(1) Sur qui, le jeu
de mots, j né ;
Celui qui le fera n’est pas encore né.
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