La sirène à la plage



Le chant de la sirène est, pour les gens de mer,
Le présage inquiétant d’un voyage en enfer.
Cette femme-poisson, synonyme d’alarme,
Attire par ses chants, mais surtout par son charme,
Le marin qui succombe à ses traits suggestifs,
Et navigue tout droit vers des bancs de récifs.
Or, voilà qu’un beau jour, se présente un navire
Que ses airs langoureux ne semblent pas séduire.
La sirène s’inquiète en son abri rocheux (1)
De voir un équipage aux monstres fabuleux !
S’y distingue un cyclope avec le Minotaure,
Une harpie, trois griffons, flanqués par un centaure,
Sous les ordres d’un troll et la vigie d’un djinn
Qui du haut de son mât ressemble au muezzin :
« Alerte ! Nous entrons dans un chant de sirènes
Dont on dit que les airs sont hallucinogènes. »
Mais vingt mètres plus bas l’équipage répond
Qu’il connaît la légende et connaît la chanson.
Le cyclope prétend qu’avec sa longue-vue
Il peut voir d’où provient cette voix imprévue ;
La licorne, qui vole, estime à vue de nez
Que pour voir la Callas il faut la dominer ;
Les griffons se font fort d’envoyer dans l’abysse
Qui referait le coup de l’odyssée d’Ulysse ;
Le capitaine troll, une masse à la main,
Marmonne en la serrant des jurons de marin ;
Tandis que le chant tape aux tympans du centaure
Autant que le feraient ceux de la Castaphiore.
Enfin, le djinn-vigie et son tapis volant,
Annonce qu’il s’apprête à visiter le chant.
Il trouve la sirène, égrenant ses octaves,
Au beau milieu d’un champ où jonchent mille épaves.
La sirène s’exclame en voyant l’audacieux
Dépasser d’un tapis qui la toise des cieux :
« Holà du tatami ! De par ma chansonnette
J’enfume le bateau, mais jamais la moquette ! »
Le génie jette alors du haut de son engin
Les poudres d’escampette et de perlimpinpin,
Qui devraient éloigner la déesse aquatique,
Et réduire à néant son essence magique.
Le mélange des deux eut toutefois le don
D’obliger la sirène à déclamer pin-pon ;
Ce qui servit plus tard de point de balisage
À toute embarcation croisant au voisinage.


Un peu de poudre aux yeux sur une vieille histoire,
Et l’on est enchanté d’encore un peu la croire.

(1) Une queue de poisson sur un corps féminin
Ne lui permet, hélas, d’avoir le pied marin.

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