Trois vieux hiboux



Chaque jour trois hiboux radotaient sur un banc,
En soldats du passé désormais mis au ban.
Leur présent n’était pas une chose actuelle,
Mais plutôt un tremplin vers la vie éternelle,
Tandis que leur futur était une occasion
De pouvoir deviser sur la grande illusion.
Ils radotaient ainsi, de façon désinvolte,
Sans avoir pour le temps ni mépris ni révolte.
Lorsque la mort approche, il vaut mieux s’en moquer
Que de croire un instant qu’on pourra l’escroquer.
Or, un jour, un coucou qui bossait à l’horloge
Les croise en coup de vent pour rejoindre sa loge,
Mais voyant ces trois vieux si près du corbillard
Pense stupidement leur faire un canular :
« Salut les vieux hiboux ! Je vais sonner mon heure.
Peut-être juste avant qu’un de vous trois ne meure ! »
« Si mon heure a sonné, s’exclame l’un d’entre eux,
Ma femme doit mourir pour qu’on s’en aille à deux. »
Le coucou comprenant la mauvaise tournure,
Tente comme un lourdaud d’effacer la bavure.
 « Je parlai de sonner l’heure de notre temps.
Non de sonner le glas de vos derniers instants ! »
 « Alors quel temps fait-il ? » demande le deuxième
« Et quel jour sommes-nous ? » s’informe le troisième.
Dans ce flot de questions provenant de tout bord,
Le coucou s’exaspère et demande un temps mort.
« Prends le temps comme il vient, sans te prendre la tête. »
Conseille l’un des vieux soulevant sa casquette.
« C’est le temps ou jamais de prendre du bon temps. »
Suggère le meilleur de ces impénitents.
« La ponctualité, c’est de la politesse !
Ne me reprochez pas cette délicatesse ! »
S’indigne le coucou, se drapant de l’honneur
De celui qui se croit de la vie un acteur
Pour avoir dégoté un boulot improbable,
Alors qu’il est payé par le contribuable.
Sur cette discussion, d’un carillon lointain,
Une heure retentit à la cloche d’airain…
Or, dès le lendemain, bien qu’on lui déconseille,
Il s’en va retrouver ces trois vieux de la veille,
Pour se plaindre et gémir d’avoir été viré,
À cause de trois fous qui l’ont accaparé.
« Tu nous chies un pendule à cause d’une plombe,
Alors que l’on est trois à deux doigts de la tombe !
Allez, viens donc t’asseoir. On va prendre le temps.
Et puis tu nous diras comment vont les enfants. »


Le temps n’a de valeur que celle qu’on lui donne.
Pourquoi lui donner tant lorsque la cloche sonne ?

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