Marmotte, marmotte



Aux sommets enneigés des Alpes de Savoie,
Là où les edelweiss se nichent dans le froid,
Vivait une marmotte qui aimait le fromage,
Surtout le reblochon, ce « Génie des Alpages ».
Elle partait voler le fermier du vallon
Afin de s’empiffrer de ce fameux fromton,
Et n’en chipait pas qu’un, mais deux ou trois cagettes,
Afin d’accommoder ceux-ci en tartiflette.
« Cré vingt dieux, la Marie ! » dit un jour le fermier
À sa femme jactant en haut de l’escalier.
Je ne sais qui pourquoi on vole le fromage,
Mais ce soir je le tue pour qu’il se décourage.
C’était une occasion qu’il prit comme alibi
Pour fuir de sa rombière le verbiage infini.
Il se mit donc au guet, mais pour tromper l’ennui
S’adjoint quelques bouteilles de marc et genépi.
De lichette en lichette, lors que le temps passait,
L’homme se mit trompette, comme en Savoie on sait.
Or la marmotte arrive, mais l’homme qui est gris
Croit que l’apparition vient de sa soûlerie.
« Bonjour. » dit la marmotte. « Bonjour. » lui répond-il, (1)
Oublieux de son rôle de reblochon vigile.
« Que faites-vous ici ? » demande l’animal,
En se donnant ainsi le rôle principal.
« J’attends bien patiemment mon voleur de fromage
Et bois pour oublier mes scènes de ménage. »
Lui répond le fermier sur un hoquet bruyant
Témoin, si l’on peut dire, de son égarement.
« Si vous le voulez bien, Messire le fermier,
Je resterais ici, et monterais le guet.
Je mets mon dévouement à votre entier service,
Et si voleur il y a, je vous ferais justice.
Sachez que de retour, je ne demande rien :
Je sais comme il est dur de préserver son bien.
Veuillez considérer que cet acte gratuit
M’apportera la joie de nous savoir amis.
Les seuls moments heureux, ici dans ce bas monde
Sont ceux que nous procure une amitié féconde.
Je hais tous ces goujats, menteurs, et hypocrites,
Qui vous cirent les pompes, vous honnissent ensuite.
N’ayez crainte seigneur, à partir d’aujourd’hui,
Vous aurez, je promets, le fromage à l’abri. »
Le fermier s’enivra de ce flux de paroles
Qui s’ajoutait en sus à ses vapeurs d’alcool.
Il reprit le chemin de son lit conjugal,
Non sans prendre au passage un gadin colossal,
Mais laissant le champ libre en salle d’affinage
À celle qui était gourmande de fromage.


Ah ! La maudite engeance que toutes ces commères,
Qui vous saoulent de mots et qui vous exaspèrent,
Qui vous font des fromages ou bien qui vous les volent,
Et vous poussent à prendre refuge dans l’alcool ! (2)

(1) Il faut se méfier de qui vous dit bonjour :
C’est parfois un ami, ce ne l’est pas toujours.

(2) De la mauvaise foi, mais à petites doses,
C’est un je ne sais quoi qui met la vie en rose.

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