Sur l’étendue glacée du continent austral,
Alors que s’achevait la période hivernale,
Un manchot attendait les premières lueurs
Des rayons d’un soleil qui chaufferaient son
cœur.
Il avait tout l’hiver mis la main à la pâte
Pour se faire livrer des objets
disparates :
Des montres et des bagues, lot de première
main,
Qu’il vendrait par la suite à ses
contemporains.
« Un coup de main de maître, grâce à mes
relations.
Comme il est agréable que d’avoir le bras
long ! »
Pensait-il en traînant son stock de raretés
Vers son premier client, dormant à poings
fermés.
« Oh là ! s’exclame-t-il.
Debout ! Réveille-toi !
Si tu n’écoutes pas, tu t’en mordras les
doigts !
Mon petit doigt me dit que dans ton intérêt,
Mes horloges de Suisse il te faut
acheter. »
« Dégage, lui dit l’autre. Espèce de
pingouin ! (2)
J’ai horreur en affaire qu’on me force la
main.
Si tu crois vendre ainsi, après un tel
accueil,
Mon ami tu te mets profond le doigt dans
l’œil. »
« Ne baisse pas les bras, garde l’âme joyeuse.
Tu n’as, pour le premier, pas eu la main
heureuse. »
Pense le camelot de ce client raté,
Se disant qu’au prochain il faudra du doigté.
Lui, qui voyait ses frères se presser contre
lui,
Et tomber sur ses montres tous à bras
raccourcis,
Devra donc s’exercer, pour ne perdre la main,
À chercher dans le lot un client plus enclin.
Comme qui cherche trouve, il met la main
dessus :
Un manchot qui, bien sûr, est de bras dépourvu,
Et qui s’étonne fort que ces montres ou ces
bagues
Puissent bien s’enfiler sans penser à la
blague.
« Passe la montre au cou, et la bague au
moignon.
Tu verras, c’est joli. Et tu seras
trognon. »
Explique le vendeur à l’autre qui
questionne :
« Qu’ai-je besoin de l'heure ? Ça ne
sert à personne ! »
« C’est là que tu te trompes. Aie donc un
peu d’esprit…
Tu sauras l’heure qu’il est au soleil de
minuit. »
« La montre est garantie ? »
demande le client,
Qui se trouve à deux doigts de lâcher son
argent.
« Si elle marche pas, je m’en lave les
mains !
Tu la cales à minuit, et t’attendras demain. »
L’acheteur, indécis, ne sait ce qu’il doit
faire
Dans cette terrifiante partie de bras de fer.
« Allons n’hésite pas. Mets la main à la
poche.
Je rajoute une bague, et le lot tu décroches.
Tu vas quand même pas me laisser sur les bras
Ce lot d’objets en or pris au trésor
inca ! »
« D’accord, dit le client. Serrons-nous
la paluche.
Laisse-moi donc choisir parmi tes fanfreluches
Un objet qu’en main propre j’offrirais à ma
femme
Avant, comprend le bien, qu’elle ne me le
réclame.
C’est bien pour ton plaisir, et non pas pour
le mien,
Que je ferai main basse sur ce menu
fretin. »
Ment-il peu brillamment au contraire de l’or
Qu’il pense verrouiller dans un bon
coffre-fort, (3)
Dont il connaît par cœur et sur le bout des
doigts
Une combinaison qui est six, un, deux, trois.
Hypocrites et menteurs, ces manchots sans
fierté
Se prirent dans les bras, d’honneur qui leur
restait.
(1) Cette fable recèle de nombreux jeux de
mots
Sur ce brave animal dont les bras font défaut.
(2) Les pingouins et manchots, comme Belges et
Français,
Apprécient mollement leur lien de parenté.
(3) Protection des manchots, vous l’avez
deviné,
Contre toutes attaques, et vols à main armée.
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