L'agent pince-oreilles




Pince-oreille (1) est le nom commun de forficule
Qui n’est qu’un nom savant pour qui l’immatricule.
(Bien que ce nom savant lui vaille quelque honneur,
Son cerque n’a pas droit au nom de monseigneur.) (2)
Attardons-nous devant un de ces pince-oreilles
Croisant un chien rêvant et bayant aux corneilles.
Le pince-oreille approche avec un pas furtif
Vers la gueule du chien qui n’est pas attentif ;
Mais le dogue est doté d’une puce à l’oreille
Qui vient de l’avertir qu’il faut qu’il se réveille.
La puce qui défend son domaine privé
Voit d’un très mauvais œil cet insecte énervé
Dont la corne en ovale est assez spécifique
Pour trouer chez le chien l’entonnoir à musique.
Et chez le forficule on a comme blason
De pincer une oreille à tous ceux qui en ont. (3)
Il attaque à l’instinct, par bravoure perçante,
Quel que soit le danger que cela représente.
« Bonjour ! entonne-t-il. Je viens vous inspecter :
Agence de l’hygiène et de la propreté. »
« Demande-lui sa carte ! » articule la puce
À l’oreille du chien, crédule de l’astuce.
Perchée sur, comme on dit, l’étagère à mégot,
La puce voit grimper ce drôle d’ostrogot,
Cabrant son abdomen et sa pince coupante
Sous couvert de mission dite désinfectante.
La puce n’eut aucun argument défensif
Pour endiguer l’assaut sur le lobe auditif.
Pour gommer les effets d’une brèche pareille
Elle vendit au chien une boucle d’oreille,
Lui donnant un faux air de pirate mondain
Dont le style éblouit tout le milieu canin.
On rechercha bientôt, par un effet de mode,
Le pince-oreille ayant la meilleure méthode,
Et la meilleure puce en art du pendentif.
Plus tard, ces deux rivaux dans leur champ respectif
Furent considérés comme experts de leur science
Dans les milieux branchés de la pop décadence,
Et leur union prouva, tout le  monde l’admit,
Qu’on peut prêter l’oreille à son pire ennemi.

(1) Perce oreille est admis dans chaque dictionnaire,
Tandis que leur famille a pour nom dermaptère.

(2) Le cerque c’est sa pince, et le cambrioleur
Emploie de son côté la pince-monseigneur.

(3) Bien sûr, ce n’est pas vrai, ce n’est qu’une légende
Nourrie par la rumeur et par la propagande.

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