Face de rat



Un rat très scrupuleux sur sa trésorerie
Subit, en tant qu’avare, une lourde avarie ;
Un outrage sans nom causé par un voleur
Qui porterait plus tard atteinte à son honneur.
Ce rat qui s’entendait dans l’art de la cueillette,
Avait accumulé sans tambour ni trompette
Un tas de ces objets dont est loin le début,
Et qui, privés de sens, finissent au rebut.
Or, le rongeur atteint du défaut d’avarice
Était loin de penser que quelqu’un lui ravisse
Un godillot troué qui ne servait à rien,
Ou qui valait si peu, sinon pour le vaurien.
« Qui donc, se disait-il, voudrait d’une chaussure,
Une seule, et de plus, de si grande pointure ?
Le coupable est parmi la bande d’estropiés
Qui s’est acoquinée avec les va-nu-pieds. »
Au prétexte trompeur qu’il n’avait rien à faire,
Il partit sur-le-champ s’occuper de l’affaire,
En mesurant sa perte à ses yeux de grigou
Et réclamant justice au mieux de son bagou.
« Assassin ! » tonnait-il devant un auditoire
Qui s’étonnait d’un cri si récriminatoire.
Dans le monde animal on traite avec dédain
Ce peuple de rongeurs qu’on taxe de radin. (1)
Ainsi, dans son enquête, à ses questions posées
Tout le monde livra des réponses biaisées,
Si bien, qu’inversement, c’est lui qui fut soumis
À l’interrogatoire auquel il s’était mis.
« Et de quelle couleur était cette chaussure ? »
« Pourrais-tu, s'il te plaît, me montrer la facture ? »
« Quelle est l’indemnité pour un renseignement ? »
Chacun de son côté faisait son boniment.
Et le rat qui croyait faire avancer les choses
Se trouvait être en fait le sujet de leurs gloses
Sans bien se rendre compte, en vulgaire abruti,
Qu’en termes de vengeance il était mal loti ;
Car personne n’osait estimer en victime
Celui qui confondait un vol avec un crime.

(1) On sait bien qu’Harpagon se trouve rarement
À confondre un centime avec un sentiment.

Commentaires