Sur les côtes nacrées d’un pays tropical
Survint une marée vraiment phénoménale,
Entraînant dans sa course de nombreux
crustacés,
Parmi lesquels un crabe : un dormeur qui
rêvait.
Surpris par la vigueur de ce flux déroutant,
Le crabe qui avant était dans l’eau céans
Se retrouve au-delà, à l’intérieur des terres,
Avec ceux pris de court dans ce bouillon
d’enfer.
Dans ces plaines profondes, si loin du
littoral,
En ce monde inconnu de sa mer natale,
Il va tomber des nues devant ce qu’il va voir,
De sorte qu’il devra se pincer pour y croire.
D’abord, une maison, ou qui passe pour telle.
Car c’est un lupanar, autant dire un bordel.
Des femmes paniquées, suivies de nus baigneurs,
(1)
Qui jouissaient alors de leurs mauvaises mœurs
S’enfuient face à la mer et son péril mortel,
En semant au passage des objets pêle-mêle.
Le dormeur, hébété, laisse passer l’orage,
Cherchant dans les objets dont il a l’héritage
Celui qui pourrait bien apaiser sa
fringale :
Ces grandes émotions lui ayant mis la dalle.
Au milieu du fatras, il aperçoit soudain
Une de ces méduses dont il fait son fretin.
Il saute sur sa proie, de ses pinces acérées,
Mais c’est une capote, qui de plus, usagée.
Il mange une limace, écarlate de fièvre,
Mais hélas ce n’est qu’un bâton de rouge à
lèvres.
Pour étancher sa soif, il descend au goulot
Des doses de parfum, estampillées Coco.
Et, farci comme une huître, il rentre en
droite ligne,
Priant de tout son cœur paraître le plus digne
Aux yeux de son épouse qui le voit arriver
Bardé de rouge à lèvres, la capote accrochée,
Empestant la cocotte, et saoul comme un cochon,
Vu qu’au lieu de travers il marche à reculons.
« D’où sors-tu, trou du cul, à une heure
pareille ?
Tu vas payer plus loin ce que t’offre la
vieille ?
Fais donc ton baluchon, et fiche-moi le
camp !
Je rentre chez ma mère, et garde les enfants. »
Le crabe n’ayant fait qu’échapper au naufrage,
Apprit que les marées font du remue-ménage.
Mais fier d’avoir sauvé sa propre carapace,
Fonda un peu plus tard une maison de nasse :
Un panier licencieux pour les crabes et
homards,
Qui, de retour chez eux, racontaient des
bobards.
Vaut mieux encore mentir sur ce que l’on a
fait,
Que d’avouer en bloc ce que l’on n'a pas fait.
(1) Des nudistes à la plage, c’est un mot bien
connu
Qui désigne à la fois et les fesses et le cul.
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