Tu l'as vu le dahu ?



Nous partîmes un soir à la chasse au dahu,
Le cœur tout chaviré devant cet inconnu
Traduits pour l’occasion en belles sarabandes.
Armé de mon sifflet et de mon sac de toile,
La pétoche régnait malgré la belle étoile ;
Mon père essayait bien de me tranquilliser,
Mais le bleu de la peur chaque pas empirait. (1)
Mes chants faiblirent donc à devenir murmure,
Puis cessèrent soudain au pied d’une coulure
Où mon père stoppa en levant haut la main ;
Une oreille aux aguets, à l’arrêt comme un chien.
« Entends notre animal au flanc de la montagne.
À saison des amours, il cherche sa compagne.
Selon sa patte courte, à gauche ou bien à droite,
Il nous faudra choisir pour se le mettre en boîte. »
« Alors, séparons-nous, dis-je alors à mon père.
Je prends de ce côté, et je vous laisse faire.
Sitôt que j’en sens un traîner dans mes parages,
J’use de mon sifflet et de tout mon courage
Pour le faire tourner dans votre direction,
Où votre sac ouvert fera la réception. »
« D’accord, répondit-il, nous ferons donc ainsi.
Si je le vois avant, c’est toi qui l’aplatis ! »
Mes mots n’avaient-ils pas dépassé mes pensées,
Me donnant plus de cran que je n’en disposais ?
Dans cette épaisse nuit mon cœur battait chamade,
Et j’avais oublié mes belles sérénades,
Alors que ce dahu dont je rêvais sans cesse
Était peut-être prêt à me botter les fesses…
Combien de temps alors restais-je immobile ;
Coéquipier peureux, devenu inutile ?
Je m’affaissai au sol, terrassé par la honte,
Ce crime que l’enfant par mensonge surmonte,
Et dont je ne sais si mon père devina
Tant je lui racontai, gesticulant des bras,
Les meutes de dahus qui m’avaient encerclé,
Empêché d’appeler ou d’user mon sifflet,
Étouffé sous leur poids, m’intimant en silence
À ne jamais plus tard dévoiler leur présence,
Mais faire d’eux plutôt des animaux mythiques
Dont les sots et naïfs aux rêves chimériques
Les partiraient chasser aux flancs de la montagne,
Tel l’idiot va chercher le pays de cocagne.
Si mon père me crut, jamais je ne le sus.
Mais nous n’allâmes plus à la chasse au dahu.

(1) Je n’étais en ce temps pas plus haut que trois pommes,
Et n’avais pas encor la bravoure d’un homme.

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