L'hermine et le croco



Une mignonne hermine, toute de blanc vêtue,
Dut un jour traverser une rivière en crue.
Elle cherche vainement un gué ou un passage,
Lorsque soudainement apparaît un barrage.
« Eh bien ! C’est une chance, se dit le mammifère,
Que grâce à ces cailloux je passe la rivière. »
La bête est trop candide, et pas assez curieuse,
Pour avoir remarqué les écailles anguleuses
D’un crocodile vert dont il s’agit du dos,
Et qui doit se marrer, la tête enfouie sous l’eau.
Imaginez l’horreur du sanglant carnivore
Qui avale l’hermine, la croque et la dévore.
Ce petit animal à la douce fourrure
Que seul l’homme dépèce pour faire des couvertures.
Et l’homme justement, le voilà qui arrive :
Un chasseur à l’affût, le fusil au qui-vive, (1)
Se demandant sur qui des deux il va tirer,
Les bêtes se trouvant maintenant nez à nez.
De la peau de l’hermine, il tirera bon prix.
Mais tuer le saurien, c’est gloire garantie !
Il hésite et il tangue sans prendre son parti,
Puis il a tout à coup une idée de génie :
Tirer sur l’un des deux, c’est voir échapper l’autre.
De cette solution, il ne sera l’apôtre.
Mais tirer le croco l’hermine dans la bouche,
C’est plus qu’un coup d’éclat : c’est un coup à deux touches !
Mais hélas il se trouve que le croco susdit,
Il ne ressemble en rien à ceux de ses amis.
Il est un peu poète et il aime Épicure
Pour le régal de voir les beautés de nature.
Et cette hermine-là, au bout de sa mâchoire,
De sa pure blancheur il va s’en émouvoir :
« Que faites-vous ma mie, voulez-vous traverser ? »
Demande t-il à celle dont la naïveté
N’égale qu’une toute urbaine politesse,
Dont elle use envers tous avec délicatesse.
« Je vous saurais bien gré, Monsieur le Carnivore.
Cette proposition me flatte et vous honore. »
Et notre crocodile s’exécute aussitôt,
En tenant à la Belle quelques menus propos,
Tandis que le chasseur attend bien patiemment,
Bien que tout ce qu’il voit ne lui semble évident.
Arrivé au rivage, l’hermine prend congé,
Tandis que le saurien s’enfuit d’une plongée,
En laissant sur le cul ce couillon de chasseur
Qui gardera ses balles au fond de leur chargeur.


Vaut mieux tirer un coup, quitte à rentrer bredouille :
Tant qu’on ne tire pas, on en a plein les douilles.

(1) Drôle d’appellation pour cet engin de mort
Que beaucoup utilisent tant à travers qu’à tort.

Commentaires