Un caribou vivant dans les steppes d’Oural
Était connu des siens pour son côté
jovial ;
Il contait à l’envi des blagues éculées,
Et parfois même aussi des par lui inventées.
Il se trouva qu’un jour, à la belle saison,
S’en vint un perroquet, issu de l’horizon,
Qui ouït le récit d’une très vieille histoire
Que notre caribou aimait bien faire
accroire :
« Un renne, d’un fagot par les bois
prisonnier,
Vit un grand caribou voulant se soulager.
Le renne supplia, mais il eut beau gémir,
Le caribou pourtant finit par le
saillir… »
« C’est trop ahurissant ce que tu me
racontes ! »
Lui dit le perroquet en verdissant de honte.
Sur quoi il s’envola, direction l’infini,
Laissant le caribou qui n’avait pas fini,
Et se disait aussi qu’il ne pouvait comprendre
Celui qui ne voulait complètement l’entendre.
Mais, comme on va le voir, cette
incompréhension
Fut suivie après coup de désinformation.
Car notre perroquet répercuta l’histoire
Auprès d’un éléphant : son premier
auditoire.
(Puisqu’il partit après la répéter itou
À d’autres en mêlant les rennes et caribous.)
L'éléphant traduisit à sa propre manière
Les dires de l’oiseau, un jour à la
panthère ;
L’animal, peu doué pour les barrissements,
En conta la moitié aux wallabies géants ;
Ceux-ci en rajoutèrent auprès d’une corneille
Qui la dit au serpent, écoutant d’une oreille.
Et ainsi, peu à peu, à force d’érosion,
De mélanges, rajouts, et d’élucubrations,
La blague inachevée atteignit la savane
En une altération de la première vanne.
On parlait maintenant, sans aucun fondement,
De sodomies (1), sévices, et d’emprisonnements
Relatifs aux sujets de races encornées,
Au fin fond de l’Oural, sibérienne contrée.
(2)
Le lion, qui était roi, prit la chose très
mal.
Il fit la sodomie entrer dans les annales,
En pondant un décret censé la condamner
En tous lieux, en tout nid, tanière ou bien
terrier.
Chacun des animaux fit ainsi la lecture
De ce royal décret anti contre nature,
Mais chacun le comprit à sa propre
façon :
Selon son intellect, et sa propre opinion.
Plus tard, le caribou, en broutant sa toundra,
(3)
Vit arriver l’armée et tout le tralala.
Il ne fit pas rapport entre blagues éculées,
Et l’antisodomie qui partait en curée.
La tradition orale est la somme d’erreurs
Qui forme la version qu’affiche le conteur.
La tradition écrite est l’aspect littéral
De la somme d’erreurs de la version orale. (4)
(1) C’est le sans fondement, pour qui a bien compris,
Qui paraît étonnant pour une sodomie.
(2) Voilà définition qui ressemble au goulag.
Cependant, celui-ci ne partait pas d’un gag.
(3) J’ai déjà dit de lui qu’il est un
boute-en-train.
En maquillant le mot, j’en fais un broute en
train.
(4) Je n’ai rien à redire à ceux qui y verront
Un rapport quel qu’il soit avec la religion.
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