La fourmi et la cigale



Au vingt-quatre décembre, un soir de réveillon,
Une fourmi chemine en cherchant le rayon
De jouets dont elle a subi le matraquage
D’une publicité fidèle au rabâchage.
Elle fait emballer des cadeaux, des présents :
Le must et le plus chic que l’on doit aux enfants
Tel que c’est indiqué dans chaque magazine,
Et que, tel un miracle, on retrouve en vitrine.
Elle voit dans Noël la fête du divin,
Trêve des confiseurs, amour de son prochain.
Et voilà qu’elle trouve au détour d’une rue
Une vieille cigale à la face barbue :
« Morbleu ! Que faites-vous, demande la fourmi,
Couchée sur des cartons, buvant du Kivami ? »
« C’est bon le Kivami, rétorque la cigale.
Il étanche ma soif et coupe ma fringale.
Donnez-moi deux euros, ce sera donner tel
Le boire et le manger d’un repas de Noël.»
« Pour ne pas amplifier les couleurs de sa trogne,
Je n’accède jamais aux désirs de l’ivrogne ! »
Lui répond la fourmi dont la mauvaise foi
Se sert de ce poncif pour en faire sa loi.
« À chacun son désir, explique la poivrote.
Vous, c’est de consommer, moi, me rincer la glotte.
Ce n’est que je n’ai foi dans cette société,
Mais c’est plus fort que moi, mon foie veut satiété.
Si la rage du ventre est l’auteur de mon vice
La rage d’acheter fait la consommatrice.
Boire jusqu’à plus saoul, c’est moi, vous le pensez.
Jusqu’à n’avoir plus sous, c’est vous qui dépensez.
Notre objectif commun c’est la concupiscence
Qui soulève en chacun la même jouissance. »
« Mais cette jouissance est toute autre entre nous.
C’est le rêve pour moi, le mirage pour vous. »
« Le rêve a disparu. Nous sommes des rouages.
Vous de gros intérêts, quant à moi de cépages.
Je reconnais mes torts, car je l’ai bien voulu
M’empiffrer de vin plat plutôt que de grand cru.
Mais vous, belle fourmi, quelques économistes
Ont bâti vos désirs comme des spécialistes.
En toute honnêteté, donnez-moi votre avis.
Qui sera plus heureux en ouvrant ces colis ?
Voyez que ces présents, ces bonheurs de surface,
Sont un péché mignon comme l’est ma vinasse ;
Et donner deux euros un soir de réveillon,
C’est comme se donner sa propre absolution. »

Puisque c’était Noël et qu’elle était croyante
La fourmi lui donna deux pièces de cinquante ;
Pour dire qu’elle avait quand même un peu raison,
Et qu’elle avait compris la moitié du sermon.

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