L'âne de Gonfaron






Il est un beau village en pays de Provence
Qui diffère en un point de tous les autres en France.
Non pas par la joliesse de son architecture,
Mais parce qu’ici les ânes volent au ciel d’azur.
Il en est peu qui croient à cette allégation,
Disent-ils sortie de l’imagination
De ribauds et hurons, des gens pauvres d’esprit,
Qui ont dû inventer cette mythologie.
En passant l’autre jour tout près de Gonfaron (1)
J’ai pourtant vu un âne voler dans l’horizon.
Ce n’était pas Pégase, car son allure altière
Pouvait se comparer à une montgolfière,
Et d'ailleurs, j’aurais pu, ne fut curiosité,
Le prendre comme tel ; un ballon dirigé.
Mais en observant bien je le vis plus étrange,
Et l'âne m’apparut avec des ailes d’ange.
D’un mouvement gracieux, il s’en vint près de moi ;
Mon cœur battit bien fort, mais je n’eus pas d’effroi.
La chose paraissant si peu conventionnelle,
Je ne pus afficher qu’un air peu naturel.
Il dut s’en rendre compte, car il me demanda
Si sa présence ici ne me dérangeait pas.
Je répondis que non ; après tout, ces collines
Étaient à tout le monde depuis leurs origines.
Je m’excusais aussi, je ne sais pas pourquoi ;
Il sourit et me dit qu’il n’y avait pas de quoi.
À son rire soudain succéda une larme ;
Alors que je venais de tomber sous le charme
De cet être magique, je le trouvais humain
Seulement deux minutes après cet entretien.
Aurais-je pu savoir en le voyant aux cieux
Que ce bel âne était un être malheureux ?
Qu’aurais-je pu lui dire pour calmer ses sanglots,
Moi qui de son chagrin ne savais pas un mot ?
Alors me vint pour lui une amitié soudaine ;
J’allai le caresser pour partager sa peine.
Nous restâmes ainsi pendant de longs instants
Des instants de tendresse, presque d’enchantement,
Puis il sécha ses larmes, reprit sa dignité,
Croyant, à mon avis, que j’en prenais pitié.
Et puis, sans dire mot, et sans plus de manières,
Il reprit son envol, et s’enfuit dans les airs ;
Me laissant au milieu de ces chants de cigales,
Et de ces champs de thym aux senteurs provençales ;
Au milieu des mystères dans ce lieu où le mont
Notre-Dame des Anges domine Gonfaron ;
Au milieu des sentiers où tant d'ânes chargés
De lourdes cargaisons s’étaient extenués.
Était-ce donc lui, l’ange de tous ces ânes ?
Je ne peux en jurer, mais le mystère plane...

(1) Village du Midi où, selon la légende,
Les ânes voleraient au-dessus des lavandes.

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