La morue maquée



Il est au Canada, non loin de Terre-Neuve,
Une morue venant de subir une épreuve,
En perdant son mari de brave cabillaud
Pour tomber dans les mains d’un sale maquereau.
Ce dernier, profitant de sa mélancolie,
A su trouver les mots qui l’ont ragaillardie :
« Mon épaule, a-t-il dit, est le lieu où tes pleurs
Pourront se déverser en tout bien tout honneur. »
Puis, insidieusement, il dit à la morue :
« Tu serais dans mon lit, mieux que la bienvenue. » (1)
Le temps ayant passé, tel des heures de vol,
La morue dit un jour en avoir ras le bol.
Le sale maquereau, qui la croyait heureuse,
Sembla fort désolé de perdre sa gagneuse.
Mais, en se ravisant, il l’admit comme un fait ;
Que ce soit tôt ou tard, elle lui reviendrait.
La morue déguerpit à toute vive allure (2)
Pour aller mesurer son goût de l’aventure.
Elle vit Terre-Neuve, admira ses abords,
En longeant le courant qui suit le Labrador ;
Elle intégra le banc d’une armée de morues
Qui lui firent sentir qu’elle était inconnue ;
Elle tenta de suivre une troupe de thons,
Qui partaient en tous sens, mais toujours sans raison ;
Et quand elle trouva le poisson de ses rêves,
Elle crut que son cœur allait se mettre en grève :
Il avait le corps sec de son ex-cabillaud,
Et les traits anguleux de son ex-maquereau.
C’était un condensé de toute sa nature,
Et le seul résumé de sa belle aventure.
Elle en fit un mari, fidèle et dévoué,
Qui, malheureusement, se fit un jour pêcher.
Plus tard le maquereau lui offrit son épaule :
« Un soutien, lui dit-il, mais en plus une gaule. »

(1) C’est le sort qui échoit à nombre d’ingénues,
Mais celle que voilà s’appelle une morue.

(2) C’est le genre de faute à ne pas répéter ;
On dit toute ou bien vive, et non tout accolé.

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