Le goéland prestigieux






Il était une fois un brave goéland
Qui tournoyait en l’air, un œil sur l’océan.
Par le dessus des flots, position qu’il domine,
Il aperçoit sa proie ; ô la belle sardine !
D’un revers il s’élance, sans savoir qu’en dessous
Un dauphin s’est donné le même rendez-vous.
« Dauphin ! s’écrie l’oiseau, en voyant s’échapper
Le dîner de ses rêves du bout de son long nez.
Vous n’êtes qu’un goujat en plus d’un triste sire,
Un gros dodu bombé qui veut tout engloutir !
Si poissons vous chassez, chassez ceux-là du fond ! »
« Je chasse où bon me semble, dit le dauphin grognon.
Vos ailes vous permettent beaucoup de territoires
Pour la chasse et la pêche, ne faites pas d’histoires.
Restez donc confiné à vos airs supérieurs.
Allez ! Hors de ma vue ! Pauvre oiseau de malheur ! »
Cette dispute eut pu rester sans conséquence,
S'il n'était des augures quelque sinistre instance
Désireuse d’unir à nouveau le duo :
Mammifère aquatique et aérien oiseau.
La tempête se lève, que dis-je, un ouragan,
Qui envoie par le fond un bateau transportant
Ce liquide fossile que l’on appelle essence
Dont le prix du baril, lui, frise l’indécence.
Le bateau est de taille, c’est son moindre défaut,
Et son nom le Prestige va résonner bientôt
Aux oreilles du monde comme calamité,
Car à défaut d’agir, on préfère crier.
Premier poisson touché, c’est notre ami dauphin.
Il tousse rote et crache, prisonnier d’un destin
Qui le porte au rivage avec ceux du bassin :
Merlans, sardines et autres dont c’est bientôt la fin.
En cette mer visqueuse qu’il n’a su deviner,
Le goéland s’englue dans la noire marée.
Il s’ébroue tant qu’il peut, allant jusqu’à pleurer.
Et sur un banc de sable, le courant achemine
L’oiseau et le dauphin, et même la sardine.


Ainsi donc se finit l’histoire de ce litige
Où chacun engloutit la cuvée de Prestige.
Si vous voulez savoir le fin mot de l’histoire,
C’est qu’on ne vient jamais chez total par hasard.

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