C'est la chenille qui se prépare






Des engins déployés en campagne de guerre
S’exerçaient à détruire, à des fins militaires,
Le fantôme ennemi dans un champ de jonquilles
Où, hélas, défilait tout un rang de chenilles.
Périr sous les chenilles d’un char hors de conflit
N’est pas ce que l’on souhaite à son pire ennemi.
Mais que penser de celle que cet engin laissa
Couchée sur le carreau entre vie et trépas ?
« Elle respire encore ! dit une de ses sœurs.
Il nous faut la soigner tant que battra son cœur. »
Comme ses tripes pendent autour de l’abdomen,
On requiert un docteur expert en ce domaine.
« Il ne lui reste à vivre que vraiment peu de temps ;
Je dois l’accompagner pour partir dignement.
Prolonger ses souffrances jusqu’à la mort certaine,
Ce serait la traiter de façon inhumaine. » (1)
Explique le docteur, alors que sa patiente
Pousse des râlements et plaintes intermittentes
Qui soulèvent le cœur des plus impressionnables,
Trouvant le diagnostic par trop impitoyable.
« Mais respectez la vie ! rugit l’une d’entre elles.
Il n’est pas sain d’agir contre le naturel.
Ni de se résigner, quand alors un miracle
Pourrait très bien venir renier vos oracles. »
« Je n’aime pas rentrer dans cette discussion
Où s’opposent la science et la superstition.
Parmi tous les décès d’histoire universelle,
Ne me racontez pas que tous furent naturels !
Et parmi tous ces morts, ne me racontez pas
Que votre religion n’avait rien voir à ça ! »
Réplique le docteur, qui trouve plus urgent
De s’occuper des foies plutôt que des croyants.
Il a de son métier une grande expérience,
Car il a vu du sort toutes les manigances.
Il n’est qu’entremetteur d’une condamnation
Dont la nature même a fait déclaration.
Mais dans la colonie, souffle un vent de refus
De laisser la chenille de ses soins dépourvue.
De pauvres allumées s’estiment héritières,
Par pure absurdité, des volontés dernières
De cette suppliciée qu’elles élèvent en martyr,
Afin que le sacré puisse grand resplendir. (2)
« Docteur ! s’exclament-elles. Laissez les créatures
Mourir selon les lois dictées par la nature ! (3)»
Lorsque soudain surgit une pie en bohême
Qui becte la victime, en réglant leur problème.

Drôle de stratégie que de mettre le doigt
Sur nos incompétences pour exalter la foi.

(1) Et si l’euthanasie était une des lois
Donnée par la nature pour nous laisser le choix ?

(2) Ces chenilles font clan, qui ne pense qu’à soi,
Faisant de leur métier la profession de soie.

(3) Brassens nous le disait dans les années soixante :
Mourir pour des idées, d’accord mais de mort lente.



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